Histoires de vie - par Marielle A

 

Bonjour à tous

 

L'inceste, le mot est lâché. En parler, le mettre au jour, le dire, le mettre au clair, le rendre transparent.

Pour me désidentifier définitivement de l'acte et de cette histoire personnelle.

 

Mes parents, durant toute leur vie de couple, ont vécu avec Edmond, le frère ainé de mon père. Pourquoi ?

Pour d'obscures raisons de partage d'héritage. Bref... Je ne me suis jamais intéressée à la question, pas plus hier

qu'aujourd'hui. Quoiqu'il en soit, ils ont vécu 50 ans dans le même lieu.

 

Quand j'ai commencé à travailler, à 24 ans, s'est immiscé en moi, un mal-être très profond. Quand je partais travailler, j'avais l'impression de me dissocier, de ne plus être moi. A l'époque, je ne m'expliquais pas cela. Je sais aujourd'hui que c'est une partie de mon âme qui se retranchait dans une sorte de "non temps", figée telle de la glace.

Je continuais de subir. Chaque matin de ma vie, j'avais cette pensée : " tu vas y arriver Marielle". Et chaque soir, quand je rentrais, un soulagement intense se faisait sentir. Sauf que ça recommençait le lendemain...

 

Un brouillard intense maintenait mon esprit dans des pensées récurrentes et très puissantes de culpabilité. Des sortes de formes pensées qui tournaient en boucle et me maintenaient la tête dans le bocal. Pour donner une image, j'avais l'impression d'être vampirisée par une pieuvre à l'intérieur de moi. J'étais sous emprise... de mon prédateur qui devait se délecter de tout ce fatras.

 

Puis, j'ai décidé qu'il fallait que ça change. J'ai fait une psychanalyse qui a duré 3 ans, et qui m'a aidé à conscientiser les abus sexuels dont j'ai fait les frais. Durant cette période, j'ai fait de nombreux rêves, entre 30 et 50 ayant trait à l'inceste.Des rêves souvent très clairs mais qui ne faisaient que suggérer, ne confrontant jamais ma conscience à des scènes traumatiques. Je n'ai absolument aucun souvenir tangible de ces abus , ni même de l'âge que j'avais au moment des faits. Rien de rien. Mais mon intuition me dit que c'était à un âge précoce...

 

Mais un soir, un évènement révélateur est survenu. C'était l'hiver et il faisait nuit. Je vais pour prendre ma voiture en sortant de la séance de psychanalyse. J'ouvre la portière et là, sur le siège arrière, il y a Edmond, l'oncle, le prédateur sexuel (sachant qu'il est mort depuis 10 ans).

Il est tout noir.Je prends le volant. J'ai 40 minutes de trajet en pleine campagne pour rentrer chez moi. Mon enfant intérieur, qui a pris la place de mon "moi" adulte est pétrifié, terrorisé. La terreur: "l'heure de la terre". Se terrer, se taire, ce sont les mêmes mots. Du haut de mon crâne jusqu'à la pointe de mes orteils, mes cellules vibrent la terreur. Quelque chose qui te paralyse et à laquelle tu ne peux te soustraire, une forme d'emprise qui te soumet corps et âme. Il me répète en boucle : "tais toi, tais toi". Je mets la musique à fond pour ne plus l'entendre mais ça continue. J'arrive chez moi. En sortant de la voiture, je lui hurle ma haine et ma colère. Je lui déverse mon trop plein.

 

Après cet épisode, j'ai su, enfin, plutôt, mon corps m'a montré qu'Edmond m'a abusé. De quelles manières (viols, attouchements, prise de pouvoir psychologique et psychique...). Je ne le sais pas vraiment. Et je m'en fous. J'ai vécu une remontée de mémoires cellulaires . J'ai été enseigné par mon enfant intérieur ce que je devais savoir et c'est tout. Ce qui était caché, emmuré dans une partie de moi-même m'a été révélé. Le secret a été levé.

 

Pendant plus de 20 ans, je me suis endormie avec la tête entièrement sous les couvertures, ne laissant passer qu'un filet d'air pour respirer.

Elisabeth Horowitz, analyste transgénérationnelle, dans son livre "Se libérer du temps généalogique" nous dit  de l'inceste : "L'inceste ramène à ce qui est déjà connu et correspond à un mouvement régressif vers les origines. Or, l'existence nous demande d'explorer de nouvelles voies, de nous différencier de notre famille d'origine afin d'exprimer notre singularité qui est source de création."

Ce n'est pas pour rien que j'ai "été chercher" un vietnamien dans le couple. C'est pour me sortir de la génétique familiale plombante, me libérer du connu, et construire avec du neuf.

Elle dit encore : "Il semblerait que l'inceste prenne racine dans la peur, peur qui viendrait du contexte historique."

"Cet acte reproduit à l'intérieur de la famille la violence que l'histoire nous a contraint à exercer ou à subir au sein de la collectivité."

 

Au delà de ce que j'ai vécu dans cette histoire, il y est question encore dans ma généalogie de 2 frères dont l'un prend le pouvoir sur l'autre.

Edmond, en prenant possession des enfants de son frère Roland, le tue symboliquement.

Edmond (qui était le berger des brebis dans la ferme de mes parents) se transforme en loup qui " mange" les enfants de son frère.

D'ailleurs, a-t-il été, un seul jour, un berger, si ce n'est qu'en apparence, pour cacher le loup.

 

Ces luttes fratricides me font penser à Seth et Osiris dans les traditions égyptiennes, à Abel (le berger) et Caïn  (l'agriculteur), à Remus et Romulus dans la mythologie romaine. "Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut." Ce qui se passe dans les sphères de densité supérieure se passe aussi en troisième densité. C'est la loi des correspondances.

L'hyperdimensionnel et le transgénérationnel se rejoignent...

 

Aujourd'hui, mes cellules se sont déprogrammés de ces évènements (en partie). Edmond est passé aux oubliettes. Récemment , son regard est venu me visiter une nuit. Mais, je suis passée outre. Son emprise n'existe plus. Ceci dit, le regard d'un psychopathe est quelque chose qui glace jusqu'à la moelle des os.

 

Edmond : le démon, le monde, le démon dans le monde, en anagramme de son prénom. Le DEMON, c'est le MONDE à l'envers.

Ce qui est "en vert", c'est la connaissance des choses cachées en alchimie. Le mal fait partie de la création et nous permet d'expérimenter dans la matière.

 

Quand j'allais travailler, j'avais peur de mourir. Est-ce en lien avec ce passé d'abus ou "j'étais obligée de..." ou " j'étais contrainte de ..." ?

ou bien, est-ce mon prédateur qui appuyait là ou ça fait mal, à savoir que je ne me suis jamais, ô grand jamais , adaptée au monde du travail.

Peut-être un peu des deux. Léo, premier fils, m'a dit un jour, à propos de ce travail :"Tu as vendu ton âme au diable". Combien sa remarque était d'une justesse implacable.

 

Donc, j'ai été victime. Mais récemment, une idée m'est venue. Et si, Edmond, dans la voiture, m'avait dit : "T'es toi" au lieu de "Tais toi".

Evidemment, ça change la donne. "T'es toi" correspondrait au fait que je suis aussi un prédateur, miroir qu'Edmond m'aurait tendu pour me voir.

Un double miroir donc, victime et prédateur. Possiblement, oui, puisque si l'on expérimente le rôle de la victime, c'est que l'on est passé par la case bourreau. Mon enfant intérieur, dans la voiture, était-il aussi terrorisé par mon côté bourreau ? C'est probable. Mais, j'ai beaucoup, beaucoup de mal à le voir. Cela me rappelle l'histoire des ânes dans mon texte précédent: "immersion chez les Léos".

 

Mes parents n'ont pas vu (ou pas voulu, pas pu, pas su).Tout comme le toit d'une maison protège des intempéries, mon père n'a pas joué son rôle de père. Une part de moi le cherche. J'ai eu beaucoup de mal à faire son deuil (c'était bien avant que je ne conscientise l'inceste).

Elisabeth Horowitz nous dit : " La perte définitive des parents enlève tout espoir de voir un jour s'incarner une fonction parentale réelle. Et c'est à ce vide que l'on doit faire face".

 

J'ai souvent, voire très souvent de l'herpès labial. Pour moi, l'herpès, c'est "espère le père". Luc Bigé dans son dictionnaire en langue des oiseaux nous dit : "L'herpès signe un appel du corps pour retrouver l'élan vital en renonçant aux CHIMERES DU PASSE, et notamment  l'attachement aux images père qu'il s'agit de trancher par " H pères"  (hacher, trancher les pères et les repères).

Christian Flèche nous dit : " Le père est le premier repère, le repaire, l'heureux père"...

 

En 1985, Je rencontre May à Toulouse.Il est souriant, avenant, parle facilement. Il rayonne (enfin, c'est ce que j'ai cru). Je suis sous le charme.

Nous nous revoyons. Cupidon est à l'oeuvre  et me décoche ses flèches à tour de bras. Je suis envoûtée. La morsure d'amour s'est emparée de moi.

Plusieurs fois, j'hésite à partir. Mais , au final, je resterai avec lui plusieurs décennies. La peur de rester seule,engrammée en moi-même m'a fait rester en couple. J'ai été manipulé par mes croyances, et au delà, par la prédation. Je suis devenue son jouet. Ne pas me juger. L'expérience était peut-être nécessaire, voire salutaire... Je ne saurais le dire.

 

C'est assez incroyable, quand je refais le film à l'envers, combien je me suis mentie à moi-même, toutes ces années. Je le savais au fond de mon être.

Mais je continuais. C'était tellement confortable de me faire croire que je ne m'étais pas trompée de chemin.

 

Quelques temps après ma rencontre avec May, mon père décède. J'hérite d'un terrain dont Edmond s'occupait. May, sans que j'en prenne vraiment conscience à l'époque, s'approprie ce terrain. J'ai une part de moi immensément naïve ou plutôt j'avais. Comment il fait ? En amassant au fil des années des quantités d'objets qui dit-il , "pourront servir un jour".

 

May est vietnamien. Sa famille s'est exilée en France pour des raisons politiques et économiques. Le mot "exil" viendrait du latin "exsilium" de "ex, hors de" et de "solum, le sol", donc hors du sol. En ancien français, exil signifie" détresse, malheur, tourment". Etre hors sol n'implique-t-il pas une difficulté à s'incarner ?

Il a 8 ans quand il arrive en France. Ses parents ne sont jamais retournés au Vietnam, prétextant toutes sortes d'excuses. Ils resteront des exilés. Ils avaient un patrimoine et des terres dans ce pays. Arrivés en France, ils se retrouvent dans un immeuble des quartiers Nord de Marseille. Le choc a dû être rude, voire très rude.

 

Nous avons voulu, en 2019, nous rendre au Vietnam en famille. Impossible. May refaisait sa carte d'identité et passeport. Et comme, par hasard, il a mis 4 ans à l'obtenir. On lui demandait de prouver sa nationalité française par tous les moyens. Je vous épargne les détails. Un noeud karmique géant était à l'oeuvre. May, s'il ne retourne pas au Vietnam, restera aussi un exilé...

Aujourd'hui, les choses ont changé. Je suis séparée de May et les enfants font leur vie. Nous ne retournerons jamais au Vietnam en famille.

 

Elisabeth Horowitz nous dit : "Se rendre en un certain lieu correspond à remonter la ligne de temps afin de revivifier une énergie."

 

Je reviens au terrain dont j'ai hérité. May, symboliquement, s'approprie ce terrain pour réparer, pour redonner à ses parents ce qui a été perdu.

Le transgénérationnel se joue de l'espace et du temps. Ce qui est resté en suspens se rejoue.

D'ailleurs, ce terrain, qui m'a occasionné toutes sortes d'histoires avec le village (il y avait tout un bric à brac d'objets que j'ai qualifié de " gros bordel") et que les gens ne supportaient plus, je l'ai vendu en 2022. May se servait de moi. Cet endroit, lié aussi à Edmond, dégageait une énergie très négative. Le télescopage May Edmond était bien là. C'est comme si May jouait une pièce de théâtre ou il redonnait à ses parents ce qu'ils avaient perdu et qui me permettait à moi de conscientiser mon passé d'abus. L'abus par appropriation matérielle me renvoyaient aux abus sexuels à travers un lieu. C'est assez impressionnant.

 

Donc, en 2022, je vends sans le dire à May. Il se sent trahi jusqu'aux tréfonds de lui-même. On se sépare. C'est très bien car cela faisait plusieurs années que ce couple me pesait. Dans la même année, je vends un terrain hérité, le couple explose et dans la foulée, je quitte mon travail.

Ma vie s'allège immensément.

 

Je ne le savais pas mais je dormais. Je me rends compte aujourd'hui du chemin parcouru. Je commence à m'éveiller. Juste, je commence.

Et je suis pleine de gratitude pour mon âme et pour la vie qui me permet de vivre cela. C'est lent, mais cela se fait, pas à pas.

 

Mon âme a été blessée par le masculin. C'est indéniable. Quand j'étais jeune, je redoutais le masculin. Parler avec un homme me mettait dans un embarras insurmontable. Je devenais toute rouge. Je me terrais.

Aujourd'hui, j'ai équilibré cette polarité en moi. L'énergie masculine me structure et me fait du bien. C'est comme une ancre, un point d'appui qui me permet d'avancer. C'est une énergie vivifiante qui m'apporte une sécurité intérieure.

 

Bien à vous.

 

Marielle A (Cen dép.12)

 

 

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