Nous sommes en 1973. Grant et Laura sont en couple mais cette relation ne sera pas de tout repos. Cette liaison représentera un apprentissage majeur dans le parcours de Laura qui devra notamment faire face au sentiment de culpabilité sous différentes formes, et comptera donc parmi ses "épreuves initiatiques". Cette relation marquera également l’effondrement de maintes illusions auxquelles elle croyait. Voici ce qu’il s’ensuit :
À l’âge de quatorze ans, un pédiatre avait prescrit des pilules amaigrissantes à Laura. Cela faisait pratiquement sept ans qu’elle en ingurgitait quotidiennement. Ces médicaments – des amphétamines en réalité –, déclenchant chez Laura des états psycho-émotionnels traumatisants à cause de leur toxicité chimique, la menèrent à en "payer le prix fort" :
Étant donné que mon corps s’était ajusté aux dosages, j’avais demandé davantage d’amphétamines afin de maintenir les effets. Je consultais désormais quatre médecins – aucun d’entre eux ne savait que j'en voyais d’autres – j'étais donc sous traitement, avec quatre prescriptions différentes. Tous ces traitements avaient le dosage maximal.
Le corps médical commençait à prendre conscience que les pilules amaigrissantes n’étaient probablement pas toutes ce qu’elles étaient censées être, mais cette information n’avait pas encore été partagée publiquement. Par conséquent, j’étais littéralement accro et ne m’en rendais pas du tout compte. J'avais les nerfs très fragiles. Mes mains tremblaient, je ne dormais pas bien la nuit, mon système digestif était complètement en vrac, et tout ce que j'ingérais me rendait malade. Par conséquent, on me prescrit du Sécobarbital pour m’aider à trouver le sommeil, du Donnatal pour aider mon estomac, et du Valium pour calmer mes nerfs. Il y avait d’autres pilules dont je ne me souviens plus – prescrites par les différents docteurs – et toutes étant des drogues dures.
Mais, d’une façon ou d’une autre, je continuais sur ma lancée. Je pouvais prendre une pilule pour me réveiller, pour me détendre, pour m’aider à manger, et pour m’endormir. Tant que j'avais assez de comprimés, je tenais le coup.
C’est dans ce contexte particulièrement instable que Laura continuait à observer ses interactions avec son environnement et ses proches. Cependant, à cette époque, elle n’était pas la seule à être droguée par le corpus médical. Des médecins avaient également prescrit de façon inconsciente de puissants médicaments – des tranquillisants, des myorelaxants et des diurétiques – à son grand-père alors atteint d’une hypertension artérielle. Peu de temps après, suite à la prise de ces différents psychotropes, l’état de santé du grand-père de Laura commença à sérieusement se détériorer. Laura exprime :
[Suite à la prise de ces nombreux comprimés, mon grand-père avait l'habitude] de s’asseoir sur une chaise dans sa chambre pendant de longues heures. Il se penchait en avant, ses mains tombant devant lui, bavant de temps à autre, ses yeux complètement vides. J’étais extrêmement troublée en observant la scène et suggérais à maintes reprises que ses médicaments en étaient responsables, mais personne ne voulait m’entendre. Puis, finalement, je finis par me convaincre moi-même que tout le monde avait raison. "Devenir un zombie est la destinée de toute personne âgée !" me disais-je.
À la même période, Alice (la mère de Laura) s’était mariée avec un énième homme qui possédait une entreprise de construction. Tous deux avaient décidé de s’occuper de la grand-mère de Laura et de l’emmener à ‘The Farm’ (la vieille maison familiale) pendant une semaine.
De son côté, Laura devait prendre soin de son grand-père ; ce dernier, sous l'emprise de puissants médicaments était de plus en plus faible et incapable de s'en sortir seul. Un soir, alors que Laura et Grant étaient sortis dîner, son grand-père chuta et se fêla une côte. Rétrospectivement, cet évènement qui aurait pourtant pu paraître anodin fit partie des faits marquants qui poussèrent Laura à se rendre compte à quel point elle ne s'écoutait pas. Alors qu'elle savait profondément qu'elle n'aurait pas dû laisser son grand-père seul ce soir-là, elle avait préféré écouter les paroles rassurantes de Grant, finalement persuadée qu'il n'arriverait rien.
Par conséquent, toujours dans la même veine, Laura relate cette période dans laquelle elle était en lutte contre ce qu'elle ressentait au quotidien :
Puisque c’était le week-end et que Grant était à l'appartement de Paula, je lui proposais de venir me voir étant donné que j’étais seule à la maison, que Grandpa était à l’hôpital, et Grandma à ‘The Farm’ avec ma mère. Je pensais qu’il sauterait sur l’occasion pour que nous puissions être complètement seuls, que tous les deux et je fus surprise quand il prétexta être indisponible. Il n’avait aucune véritable excuse si ce n'est quelque chose de vague concernant le fait d’avoir déjà prévu des choses, dont celle de laver son linge. Je lui soulevais le fait qu’il pouvait faire tourner une machine ici à la maison et il accepta à contrecœur de venir aussi vite que possible, une fois qu’il aurait “réglé les choses de son côté”.
Je ressentis une peur violente me saisir de façon foudroyante. J’eus une vision subite de Grant et Paula ayant des relations intimes, mais je balayai rapidement cette pensée. Paula avait été une très bonne amie pour nous deux et j’étais certaine de l’amour que Grant me portait. D'ailleurs, n’avait-il pas tout quitté pour moi ? […]
Grant ne vint que plus tard dans l’après-midi. Je voulais me rendre à l’hôpital mais Grant avait accepté une invitation à dîner en notre nom […]. Il n’arrêtait pas de me dire que tout allait bien et que je ne devais pas être aussi contrariée ; il n’y avait aucune raison d’en faire tout un plat. Il m'exprima ensuite qu’il était complètement injuste de ma part d’être irrationnelle et de gâcher son week-end avec mes peurs irraisonnées concernant mon grand-père.
Encore une fois, le sentiment de culpabilité. Je le rendais malheureux alors qu’il avait sacrifié tant de choses pour moi. J’acceptai d’aller au dîner et essayai de repousser mes peurs. Cependant, j’affirmais clairement que je comptais me rendre à l’hôpital dans la soirée après avoir dîné, pour voir mon grand-père, même si Grant ne venait pas avec moi. Il accepta avec réticence et après le dîner, nous nous rendîmes à l’hôpital des anciens combattants situé au nord de la ville.
Lorsque nous arrivâmes à l’hôpital, j’entrai et allai dans la chambre de mon grand-père et ne le reconnus pas. J’étais tellement choquée. En seulement deux jours, il avait tant changé qu'il me paraissait être un inconnu. Dans un premier temps, je pensais simplement que ce n’était pas lui, que j'étais entrée par erreur dans la mauvaise chambre. Je l'interpellai donc doucement : “Grandpa ?” Il ouvrit les yeux et au moment où il me vit, il y eut une sorte de transformation. Un éclat se raviva dans ses yeux, son visage s'anima, et c’était lui de nouveau. […]
De sa pauvre et tendre main qui n’avait plus que quatre doigts, Grandpa m’agrippa le bras avec vigueur. Il me serrait la main comme s’il était en train de se noyer et que j’étais la seule bouée de sauvetage à l'horizon. Il me dit : “Tu prendras soin de Grandma, n’est-ce pas ? Elle a besoin de toi.” Et je lui en fis la promesse. Puis il me dit : “Ramène-moi à la maison Lolly. Ramène-moi.” Mais je n'y étais pas autorisée.
[Aux États-Unis], vous ne pouvez pas simplement sortir quelqu’un de l’hôpital sans passer par tout un tas de souscriptions à des services et assurances médicales. […] Non seulement cela, mais je ne possédais également aucune autorité légale pour pouvoir le ramener à la maison. Par conséquent, j’essayai d’être enjouée et de faire de blaguer au sujet de sa côté fêlée et de comment elle serait raide lorsqu’il rentrerait à la maison dans un jour ou deux. […]
[Je me rendis ensuite] dans le couloir, appelai la première infirmière que je croisais, et lui demandai de venir aider [mon grand-père pour qu’il puisse faire ses besoins]. […] On me somma alors de partir car les heures de visite étaient terminées. […] J’embrassais mon grand-père sur la joue et lui dit que tout irait bien jusqu’à ce qu’il rentre à la maison. Pour fêter son retour, nous mangerons du délicieux crabe. Et on me chassa dehors.
Soudainement, alors que j’étais dans l’ascenseur, je sus que je ne reverrais plus jamais mon grand-père. Je me mis à pleurer de façon incontrôlée. J’étais en sanglots dans l’ascenseur, en sortant du bâtiment, en passant par le parking, pendant tout le trajet dans la voiture, jusqu’à ce que je rentre à la maison. Je tremblais et pleurais à chaudes larmes sans pouvoir m’arrêter.
Grant n’arrêtait pas de me répéter qu’il n’y avait absolument aucune raison que je me mette dans un état aussi irrationnel et de continuer à entretenir cet état émotionnel. J'essayai tant bien que mal de cesser de pleurer, étouffant et luttant contre mes propres larmes. De déchirants sanglots jaillissaient d’un profond puits en moi. Grant ne cessait de me dire que tout allait rentrer dans l’ordre. Que je n’avais pas à m’inquiéter. Mais cela ne fonctionnait pas. Rapidement, je devins hystérique de chagrin même contre ma propre volonté. Je ne m’étais jamais sentie comme cela de toute ma vie.
Je me rendis dans ma chambre et avec des mains tremblantes, je parvins à ouvrir la bouteille de Seconal et en pris deux. Mes yeux étaient tellement embués de larmes que je ne pouvais rien voir. Je me sentais complètement sotte, complètement hors de contrôle, et je savais que mon comportement était illogique. Comment pouvais-je savoir que je ne reverrais plus jamais mon grand-père ? Ça n’avait aucun sens ! Je devais me ressaisir. Grant accepta de s’asseoir avec moi jusqu’à ce que je m’endorme. Il s’assit donc sur le bord du lit et petit à petit, je me calmais au fur et à mesure que le Seconal faisait son effet.
Nous étions en train de parler lorsque tout à coup, Grant dit, “Chut !” Je ne bougeais pas d’un poil et tendis l’oreille. J’entendis un bruit. Quelqu’un était en train de secouer la poignée de la porte latérale de la maison. Nous entendîmes le bruit du verrou lâcher, et la porte s’ouvrir en grinçant – cette dernière faisait un grincement particulièrement reconnaissable et spécifique au niveau des charnières. Mon envie de pleurer cessa. Mon cœur battait la chamade. Quelqu’un était en train d’entrer par effraction. Grant se leva pour chercher une arme dans ma chambre.
Soudainement, je me rendis compte de ce que j’entendais : j’entendais mon grand-père marcher dans la maison. Je l'entendais aussi clairement que possible […] Il avait une démarche très singulière et je ne pouvais me tromper. Et Grant l’entendit également. Nous nous sentîmes rassurés car nous n’avions pas à faire face à un voleur mais nous étions toujours pris de panique. Comment expliquer à mon grand-père la raison pour laquelle Grant était dans la maison avec moi, dans ma propre chambre ?
Manifestement, d’une façon ou d’une autre, Grandpa était sorti de l’hôpital et avait pris un taxi pour rentrer. Grant était prêt à se cacher dans l’armoire à tout moment. Nous nous attendions à ce que Grandpa vienne à ma porte pour me dire qu’il était rentré. Mais apparemment, Grandpa avait d’autres idées en tête. J’entendis grincer la porte du placard de la cuisine, celle qui était accolée au mur de ma chambre. Grandpa farfouillait dans la vaisselle en porcelaine. Je pouvais entendre les tasses et les sous-tasses s’entrechoquer. La porte du placard se referma avec un bruit sourd et j’entendis le déplacement des casseroles et des poêles et l’eau du robinet couler. Je me rendis compte que Grandpa était en train de se préparer une tasse de café. J’avais entendu la même série de sons chaque matin, depuis tant d’années, et avais tant de fois été témoin du rituel de préparation du café que je pouvais prédire le son qui allait suivre.
Eh bien, c’était un soulagement ! Nous décidâmes que pendant que Grandpa était occupé dans la cuisine, Grant pourrait s’échapper en douce par la porte de derrière. Nous nous faufilâmes dans le salon jusqu’à la salle à manger, [à proximité de la cuisine] […] Mais quelque chose clochait. Il n’y avait aucune lumière en provenance de la cuisine […]. Comment est-ce que Grandpa pouvait préparer son café dans le noir ?
Perplexes, nous nous dirigeâmes sur la pointe des pieds jusqu’à la porte de la cuisine. Tout était silencieux et il faisait sombre. Les bruits de la préparation du café avaient cessé. Nous allumâmes la lumière. Il n’y avait aucune poêle sur le gaz, il n’y avait pas de tasse et de soucoupe sur la table. Il n’y avait personne. Comment était-ce possible ? Avions-nous complètement perdu la boule ?
Grant chuchota, “C’est un cambrioleur, il se cache dans la pièce à côté de la cuisine.” Alors qu’il cherchait une arme en vain, Grant attrapa un gros moule à gâteau sur le buffet pour l’utiliser comme un bouclier. Il approcha la porte dans la pièce adjacente, la chambre de ma grand-mère. Soudainement, il bondit vers la porte […]. Il n’y avait personne.
Ne renonçant pas si facilement, il ramassa la canne de ma grand-mère et alla inspecter toute la maison, allumant toutes les lumières au fur et à mesure de sa traque. Il ouvrait et refermait les armoires, il jetait des coups d’œil derrière les portes et sous les lits et littéralement partout où quelqu’un aurait pu de se cacher.
Pendant ce temps, je restais debout dans la cuisine, tremblante, serrant un couteau de cuisine […]. Si le cambrioleur revenait par-là alors que j’étais seule, je serais prête. Alors que j’étais là, je jetais un œil à l’horloge sur le mur de la cuisine […] et me rendis compte qu’il n’était qu’une heure et cinq minutes du matin. Grant renonça finalement après avoir inspecté la maison trois fois, d’autant plus qu’il devait s’en aller. Mais cela ne me posait pas de problème.
Je n’avais plus besoin de pleurer car je savais. Grandpa voulait rentrer à la maison. Et il l’avait fait. Il n’avait juste pas pris la peine de prendre son corps avec lui.
Le matin qui suivit, Laura reçu un appel de l’hôpital la notifiant du décès de son grand-père au cours de la nuit, aux alentours d’une heure du matin, le 19 Mai 1974.
Pendant longtemps, cette perte généra une grande culpabilité chez Laura qui se persuadait que si elle avait sorti son grand-père à temps de l’hôpital, si elle s’était battue contre le système, alors celui-ci serait encore en vie. La perte de ce dernier fut également un apprentissage plus que marquant qui la poussa donc à apprendre à s’écouter. Ce décès et le phénomène paranormal qu'elle avait vécu constituaient aussi particulièrement pour elle les preuves que la conscience existait bel et bien dans 'Tout Ce Qui Est'. Le fait de le vivre était donc sa vérité qui avait maintenant bien plus de poids que tous les livres qu’elle avait lus jusqu'alors !
Pendant toute cette période, Laura devint de plus en plus dépendante des puissants médicaments qu'elle avait l'habitude de prendre. Elle se rendit compte qu’au plus elle en ingurgitait, au plus elle pouvait être endurante dans son travail et mettre de côté ce qu'elle ressentait ; si elle était épuisée, elle ne pleurait plus trop. Mais cette hygiène de vie ne pouvait évidemment pas durer indéfiniment :
Finalement, mes mains tremblaient tellement et mes nerfs étaient tellement à vif que je dus augmenter la dose de tranquillisants, simplement pour être capable de parler de façon cohérente. Je ne pouvais pratiquement avaler aucun aliment ; je n’avais pas arrêté de saigner ne serait-ce qu'une journée et ce, depuis plus de trois mois. Pour faire bref, j’étais une épave.
Je ne savais pas à quel point mon cas était grave. J’ai toujours eu cette capacité de continuer à travailler, d’aller de l’avant, de continuer à faire ce que j’avais à faire même si j’étais très malade, jusqu’à m'effondrer totalement.
Lorsqu’un animal dans la nature est faible et blessé, les vautours commencent à voler en cercle, attendant la mort imminente. Parfois, ils atterrissent et commencent à déchirer la chair de la créature encore vivante, précipitant ainsi la mort. Et c’est de cette façon que les prédateurs entrèrent dans ma vie.
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