14. Mémoire transgénérationnelle - par Orsula

 

Un traumatisme qui déborde la capacité des contenants (psychiques) d’une personne et du groupe familial et qui ne peut s’exprimer à ce moment-là, est transmis à la génération suivante, c’est-à-dire qu’il est déplacé dans le temps et dans l’espace. Le déplacement est la défense qui détermine le mécanisme du transport transgénérationnel.

Ce mécanisme de déplacement de la souffrance mentale sur l’autre qui nous est proche (partenaire ou enfant), se trouve à l’origine de la transmission psychique transgénérationnelle à travers laquelle la souffrance non pensée à cause d’un traumatisme subi est déplacée dans un autre lieu et dans un autre temps.

Transmission du traumatisme et défense transpersonnelle dans la famille.

 

Pour commencer ce partage, je dois remonter quelques années en arrière.

 

Nous venions de nous installer à Errachidia quand mes parents nous ont envoyé les meubles d’un salon qu’ils n’utilisaient plus, vu que nous avions une grande pièce non meublée. Les meubles en question étaient mauves et lourds. Deux ans plus tard, ils nous ont offert d’autres meubles de la même couleur et tout aussi lourds.

 

Anas, qui dormait mal sur le lit offert, a abandonné notre chambre pour dormir ailleurs. Après quelque temps, je l’ai rejoint. Ainsi, nous nous retrouvions encombrés par des meubles dont il était impossible de se débarrasser vu le programme : tu vas blesser tes parents qui t’ont offert ça ! Et en plus, ça coûte cher !

 

Je tentais d’ignorer la présence de ces objets, mais à chaque fois que je voulais changer la disposition des lieux, je me retrouvais bloquée. La gêne occasionnée s’est changée, petit à petit, en colère. La pensée suivante tournait en boucle dans ma tête : mon intérieur est plein de choses encombrantes qui ne m’appartiennent même pas !

 

Anas, qui sentait ce qui m’habitait, a insisté pour que je déballe tout. Ce qui avait commencé par un échange s’est vite changé en pleurs incontrôlés. Je ne parlais pas, je criais les mots. Dès que je m’arrêtais pour stopper le flot, il me disait de tout vider, et ça repartait de plus belle. Un vrai pétage de plomb ! Je ne me suis arrêtée que quand ma tête s’est complètement vidée et mes émotions se sont calmées.

 

J’ai à maintes reprises repassé cet épisode en tête pour tenter de comprendre d’où me venait ce mélange d’émotions : rage, accablement et incapacité d’agir. Sans succès. Surtout que nous avons d’autres meubles, donnés aussi, qui ne génèrent en moi aucune réaction émotionnelle, je ne les trouve ni beaux, ni laids, juste utiles.

 

Notre décision prise, nous avons donné les meubles de la chambre parentale à quelqu’un qui en voulait. La personne à qui nous avons proposé le salon n’en a pas voulu, et donc je l’oubliais dans sa pièce que je ne considérais plus comme faisant partie de la maison.

 

Alors que je tournais et retournais cette affaire en tête, je me suis rendu compte que les meubles n’étaient pas mauves, mais violets. Je comprenais enfin pourquoi ils me gênaient autant, pourquoi nous y dormions mal. Ces meubles symbolisaient une lourde mémoire de viol que nous détections inconsciemment.

 

Par la suite, Anas a voulu changer la disposition des meubles. Résultat des courses : une partie du fameux salon s’est retrouvée dans la même pièce que l’ordinateur sur lequel je passe mes heures. Cette mémoire insistait pour se faire connaître, notamment par un rêve dans lequel j’étais la femme de ménage de mes parents, je nettoyais leur lieu de travail.

 

Clairement, une mémoire m’habitait, elle ne m’appartenait pas, mais décidément, je l’ai endossée. Je demandais à la guidance de me libérer de ces meubles. Le soir même, Anas m’a informé que mes parents allaient nous rendre visite.

 

Le lendemain, je discutais avec mon père et il m’a révélé son passé traumatique.

 

Recevoir l’information a entraîné une bouffée subtile dans mon corps. J’avais enfin la pièce manquante du puzzle. Accepter peu à peu mes propres blessures, lâcher ce « ça ne doit pas exister ! », m’a permis de penser : oui, ce sont des choses qui arrivent, et de rester centrée face à lui.

 

Puis, j’ai rêvé que ma canine inférieure droite s’est arrachée toute seule de mes chairs. Lorsque je l’ai tenue en main, j’ai remarqué qu’elle n’avait pas de racine normale. Cette dent était un implant.

 

La dent en question représente l’héritage transmis par le père biologique (symbolique des dents et de leurs maux). La souffrance non exprimée, non intégrée, a été implantée en moi. Le pétage de plomb, à priori injustifié, a été nécessaire pour libérer les émotions qui m’habitaient et que mon intellect ne parvenait pas à expliquer. Cette information a donné sens à ce que je vivais et m’a permis de lâcher l’héritage traumatique.

 

Plus encore que le traumatisme en soi et la souffrance associée, ce sont les secrets, les non-dits, la dissimulation de la réalité et de la souffrance vécue qui sont pathogènes pour les générations suivantes.

Il appelle « méconnaissance de la réalité » cette minimisation ou négation de leur souffrance durant leur propre enfance. Souvent, les parents des personnes psychotiques ont un passé lourd mais gardé secret. Dans leur discours, ils cachent leur souffrance d’enfant et parfois même idéalisent leur enfance. Ils racontent à leurs enfants qu’ils ont eu une enfance heureuse, et que tout va bien dans leur vie, mais leurs enfants captent bien sur le plan non-verbal une souffrance enkystée encore vive chez leurs parents. Ces enfants-là ne savent plus quoi penser. Ils sentent des choses pourtant justes mais qui ne sont pas validées par le discours de leurs parents. La confusion s’installe alors en eux…

La transmission transgénérationnelle des traumatismes et de la souffrance non dite.

 

Orsula (Maroc)

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