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Le 2 juillet 2019
A 3 ans et demi, il devenait nécessaire de commencer à faire prendre conscience à Ysis Marie de la présence de son prédateur. Sans compter que ce dernier (comme c’est souvent le cas chez les
enfants) pouvait être très puissant et envahissant dès qu’il a la possibilité de s’installer.
L’occasion se présenta un soir d’été où Ysis Marie avait choisi de jouer dehors au ballon, plutôt que de lire un livre avant d’aller se coucher. Au moment de siffler la fin de la partie pour
regagner la chambre, elle me dit finalement qu’elle voulait lire un livre avant de se coucher… Connaissant l’oiseau, je devrais dire le Corbeau (c’est ainsi que nous appelons le prédateur d’Ysis
Marie en référence à l’un de ses livres - Cf. ci-dessous), je lui propose qu’elle range rapidement les quelques jouets qui trainaient encore dans le jardin et que nous prendrions alors le temps
de lire une histoire.
Ysis Marie acquiesce, mais son Corbeau reprend aussitôt la main et lui fait louper l’une des deux marches de la terrasse, alors qu’elle retournait dans le jardin pour effectuer son rangement.
Chute sans gravité, pas même une égratignure, mais les pleurs sont là, l’émotionnel est installé et le Corbeau a un boulevard devant lui.
Plusieurs minutes à tenter de lui faire prendre conscience qu’elle n’a aucune trace sur sa jambe, en vain. Elle rentre finalement, toujours en larmes, pour raconter ses malheurs à Yakout. Après
de longues minutes, Ysis Marie vient me rejoindre sur la terrasse, le sourire aux lèvres en brandissant le coton-tige avec de l’huile essentielle de lavande extorqué de haute lutte pour
badigeonner son bobo imaginaire.
Et c’est là que j’ai eu le droit au Corbeau Acte I, scène 2 : « Mais j’ai très envie de lire une histoire », « Pourquoi on ne peut pas lire une histoire ? D’habitude on lit une
histoire ! », « Je n’arriverai pas à m’endormir si je ne lis pas une histoire »... Mais tout cela dans le calme, sans énervement et sans pleurs. Le Corbeau avait laissé de côté
l’alter colérique pour cette fois et avait décidé de mettre en scène l’alter amnésique et négociateur, tentant de jouer sur la corde de ma culpabilité.
De mon côté, pas de sensation de malaise, pas d’énervement ou de colère. J’étais centré et prêt, non pas à affronter le Corbeau, mais à lui faire face. L’idée n’était pas d’entrer dans la
négociation, car il était clair qu’il n’y aurait pas de livre et que le Corbeau n’obtiendrait rien, mais de rester ferme et de tenir bon pour le faire plier, tout en restant vigilant sur mon état
émotionnel pour déceler toute montée de colère ou d’agacement, qui aurait été les prémices d’une prise énergétique.
Durant ce face à face, qui a duré une quinzaine de minutes, j’ai expliqué à maintes reprises qu’Ysis Marie avait fait le choix de ne pas lire de livre pour continuer à jouer dehors, puis de
pleurer et soigner un bobo imaginaire. Cela s’est fait sans énervement ni d’un côté ni de l’autre, sans crise de larmes ou de colère et Ysis Marie s’est finalement décidée à aller dans sa chambre
pour se coucher.
Nous n’avons pas la même approche face à ce genre de situations, Yakout et moi. Elle pense qu’accorder de l’attention au Corbeau revient à lui laisser prendre le contrôle et à lui offrir une
prise énergétique. Selon elle, il faudrait refuser tout face à face avec le Corbeau, juste avertir Ysis Marie dès qu’on l’a décelé, lui dire STOP et passer à autre chose. Je suis d’accord avec le
fait d’alerter Ysis Marie dès que le Corbeau se présente, c’est d’ailleurs ce à quoi nous nous employons depuis quelques semaines, pour qu’elle puisse à terme prendre conscience de sa présence
d’elle même. En revanche, même si le prédateur d’Ysis Marie sait être extrêmement puissant, il n’en reste pas moins qu’il passe par une enfant de 3 ans et demi et je ne pense pas que l’on puisse
demander à cette enfant d’avoir le même comportement qu’un adulte face à son prédateur.
Typiquement, quand nos prédateurs sont de sortie entre Yakout et moi, cela n’a rien à voir avec la scène entre le Corbeau et moi. Nos prédateurs sont plus dans l’escalade et la joute verbale pour
avoir le dernier mot sur l’autre et dans ce cas, il faut qu’à un moment l’un des deux disent STOP pour que chacun reparte avec son prédateur et aille faire son travail. Concernant Ysis Marie,
elle n’en est pas là… elle commence seulement à comprendre qu’il existe des prédateurs, mais n’en est pas encore à réussir à percevoir d’elle même sa présence. Alors, la laisser se dépêtrer seule
avec lui, une fois que nous lui avons dit qu’il était là, me semble prématuré. Généralement, si nous tournons les talons dans ce genre de situation, la prise de contrôle par le Corbeau s’amplifie
et se traduit par une crise de pleurs et de colère pouvant être extrêmement violente et durer très longtemps. Et contrairement à ce qu’il pourrait sembler, cette crise ne se termine pas par
l’épuisement du Corbeau mais par celui d’Ysis Marie qui s’est faite pomper par le Corbeau, qui repart une fois repu.
Pour le moment, il n’est pas encore possible d’attendre d’Ysis Marie qu’elle reproduise notre comportement dans telle ou telle situation, juste parce que nous lui avons expliqué telle ou telle
chose. Combien de mois/d’années de compréhension nous a-t-il fallu pour acquérir un minimum de connaissances nous permettant d’affronter bon an mal an ces situations ? Par quelles expériences,
bonnes ou désagréables, avons-nous dû passer pour en arriver là ? Expliquer les choses à Ysis Marie est indispensable, mais il ne faut pas brûler les étapes. Il faut lui laisser le temps
d’intégrer cela (c’est ce qu’explique Jenaël à 15:57 dans la vidéo « Tout simplement, écoute et observe ! - Partie 2 ») et de se confronter à ses propres expériences. Pour
prendre une image, on peut toujours dire à un enfant de ne pas toucher à un four en marche parce que ça brûle. Il écoutera un certain temps, mais généralement il finira tôt ou tard par essayer.
Pour éprouver sa confiance en celui qui lui a dit cela (Ne m’aurait-il pas menti ? N’aurait-il pas exagéré ?) et/ou pour expérimenter ce qu’est la brûlure (Est-ce que ça fait vraiment mal ? Quel
type de douleur ?). Alors oui, on se doit tout de même de lui dire, car au moins il aura été prévenu et s’il décide d’expérimenter, il pourra le faire en connaissance de causes et sans y laisser
trop de plumes.
Lors de cette scène, le Corbeau n’étant pas dans une énergie destructrice ou de combat comme il peut l’être parfois, je n’étais pas par résonance dans une fréquence d’agressivité ou de contrôle.
C’était l’occasion parfaite pour montrer à Ysis Marie que rester ferme face au Corbeau, ne rien lâcher, sans s’énerver ou hausser la voix, même si cela dure, permet de le faire plier.
Dès le lendemain, j’en ai reparlé avec Ysis Marie qui se souvenait parfaitement de cet épisode. Ceci me permit de lui pointer les différents signes de la présence de son Corbeau. Elle était
intéressée par la discussion, posait des questions et faisait des parallèles avec des expériences passées la concernant.
Après avoir fait le tour du sujet, j’ai insisté sur la manière dont la scène s’était terminée la veille au soir, c’est à dire sans avoir cédé et sans pour autant que cela se termine en crise de
cris ou de larmes. L’idée étant de faire comprendre à Ysis Marie qu’avec calme et détermination, il était possible de faire plier le Corbeau et ne pas le laisser prendre le dessus. Et je
l’encourageais à le faire par elle-même la prochaine fois. Ysis Marie n’était pas très rassurée à cette idée, je lui proposais donc de l’aider au début et que nous le fassions partir à deux, dès
qu’une prochaine occasion se présenterait.
A suivre…
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nathalie naitsensciel (mercredi, 09 octobre 2019 10:40)
Bonjour Fred,
Ce que tu entreprends avec ta fille est magnifique. J'ai le coeur serré lorsque je te lis. Je suis désolée de ne pouvoir dire mieux que, lorsque je regarde en arrière avec mes enfants en bas age, ce n'est pas de l'Amour qu'on le leur porte comme tu le fais. Puisqu'en temps que parents je commence seulement à appliquer cette connaissance du prédateur sur moi-même, quelle non éducation, me dis-je, ai-je donné....
Comme tu le dis les prédateurs respectifs du parent et de l'enfant savent les attachements qui se jouent dans cette relation et je crois voir que le déchirement de mon cœur en te lisant vient de ce que tu sais, toi, discerner dans le corps de trois ans et demi de Ysis-Marie, "qui" l'habite à un moment précis, malgré les larmes et les hurlements qui se manifestent. (surtout dans ton deuxième texte). j'ai à dépasser je crois, à prendre conscience en moi QUI se sent déchiré lorsque j'entends un enfant pleurer...
Merci Fred.